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Compo Peq - Triple victoire d’étape

Les pilotes qualifiés sur B777 auront peut-être remarqué la discrète mise à jour du 20 février 2025 de leur MSS avion concernant le nombre de PNC minimum réglementaire en version normale d’exploitation qui passe de 6 à 8 sur B777-200 et de 7 à 10 sur B777-300 en version « BEST ». Cette mise à jour clôt le volet « ORO.CC.100 » pour lequel ALTER a assigné Air France devant le tribunal judiciaire de Bobigny. La première audience qui s’est tenue le 10 avril est l’occasion pour nous de revenir sur cette triple victoire pour les navigants : victoire technique, victoire sociale et victoire syndicale.



Un peu d’histoire ancienne et récente

 

Les plus anciens se souviendront de l’époque où l’AESA n’existait pas, où les règlements étaient édités en Europe par chaque état. C’était l’époque de l’arrêté du 5 novembre 1987 « relatif aux conditions d’utilisation des avions exploités par une entreprise de transport aérien » et la règle de « 1 PNC par 50 passagers ». Puis, vinrent les premiers règlements européens, au travers des « JAR » (Joint Aviation Requirements) édités par les « JAA » (Joint Aviation Authorities), avec notamment le JAR-OPS, autrement appelé « OPS 1 ». C’était en 1998. Le 15 juillet 2002 naquit l’Agence européenne de la Sécurité aérienne, devenue depuis l’Agence de l’Union européenne pour la Sécurité aérienne (AESA). Après avoir repris les prérogatives des JAA, cette dernière fit édicter par l’Europe ses propres règlements. C’est ainsi que nous exploitons actuellement nos avions sous le régime du Règlement 965/2012, où 2012 désigne le millésime du règlement plus communément appelé AIR-OPS.

 

Parallèlement, le transport aérien a connu plusieurs cas d’évacuations d’urgences, dont la plus célèbre à Air France, concerne sans aucun doute le « Toronto », le 2 août 2005. Ce jour-là, les PNC ont sauvé les passagers, TOUS les passagers. Il y avait 3 PNC en plus du nombre minimum réglementaire. Mais « le Toronto » n’est pas la seule évacuation à avoir été étudiée en long, en large et en travers.

 

Un rapport édité par la Royal Aeronautical Society, intitulé « EMERGENCY EVACUATION OF COMMERCIAL PASSENGER AEROPLANES », s’est penché sur nombre d’évacuations et a fait ressortir que la fameuse règle du « 1 pour 50 » qui définit le nombre de PNC en fonction du nombre de passagers, n’était pas suffisante pour garantir une évacuation en toute sécurité dans le temps dévolu par la certification, c’est-à-dire 90 secondes.

La règle du « 1 pour 50 » a ainsi évolué pour passer de 1 pour 50 passagers à 1 pour 50… sièges (occupés ou non).

La Royal Aeronautical Society déduit de son étude que : « (…) Dans chacun de ces accidents [étudiés], il n’y a eu aucun décès. Toutefois, dans les trois cas, le nombre de sièges passagers installés était nettement inférieur au nombre approuvé au moment de la certification de type initiale. En outre, le nombre de passagers réellement à bord était inférieur au nombre de sièges passagers installés, et le nombre d’équipages de cabine à bord était nettement supérieur à celui requis par la règle “1 pour 50”. Si le nombre maximum de passagers avait été à bord et si seul le nombre minimum d’équipages de cabine requis avait été présent, l’issue de ces accidents aurait pu être très différente avec des temps d’évacuation prolongés. De plus, l’issue de ces accidents a bénéficié du fait que les avions n’étaient pas à leur capacité maximale en termes de sièges passagers installés (…) »

 

Plus récemment, le 2 janvier 2024, les vidéos de la collision à Haneda entre l’A350-900 du vol JAL512 et le Dash 8 des garde-côtes ont montré la rapidité avec laquelle un incendie peut prendre et se propager nécessitant un temps d’évacuation rapide. Là encore, il est à souligner que sur l’A350, tout le monde a survécu grâce aux PNC.


L’AIR OPS, précédemment cité, est rentré progressivement en vigueur entre 2012 et 2014, par catégorie de textes dont la tranche « ORO » (diminutif de « Organisation requirements » ou encore « exigences opérationnelles pour les opérateurs aériens »). Un opérateur aérien, c’est un transporteur aérien, comme Air France. L’ORO est composé d’une partie qui traite spécifiquement des « Exigences relatives à l’équipage de cabine », c’est la partie « ORO.CC ».

En 2014, au travers du Règlement 83/2014, à la règle du « 1 pour 50 sièges », il est venu se rajouter de nouveaux critères dans l’« ORO.CC.100 » en référence à la certification des aéronefs.

 

Malgré cette évolution réglementaire, côté direction d’Air France, le choix a été fait de ne pas revoir ses tableaux de composition équipage minimum réglementaire.

Le CHSCT pilote (l’ancienne CSSCT) a déposé un avis de danger grave et imminent (DGI) le 16 septembre 2016 :

« L’analyse des compositions équipages par les représentants du CHSCT-Pilotes les amène à constater qu’elles ne respectent pas la réglementation IR-OPS, non seulement dans leurs versions dégradées, mais aussi dans leurs versions nominales quotidiennes telles que détaillées dans le MANEX, et ce sur tous types avions.

A titre exemple, dimanche 25 septembre 2016, 10 vols sur les 16 effectués en A330 l’ont été avec moins de 8 PNC compétents.

L’étude suivante, valable pour le B777, détaille la réglementation et explicite les écarts existants avec celle-ci.

Par conséquent, les représentants du CHSCT-Pilotes consignent cet avis de Danger grave et imminent. »

 

Le déni d’Air France n’étant pas unique, l’AESA a été contraint de publier un « memorandum » le 3 juillet 2017 intitulé CM-CS-008 pour préciser la réglementation applicable.

Malgré cela, la direction d’Air France est restée inflexible dans sa négation de l’évolution de la réglementation, usant de prétextes liés à des modifications mineures des cabines des avions pour se prévaloir de pouvoir contourner ce qui lui était imposé. Un nouveau DGI a été déposé le 16 juin 2022 par la CSSCT pilote :  

« [..]Enfin, concernant l’équipage commercial, les Commissaires constatent que les compositions d’équipage PNC sont régulièrement réduites en dessous du minimum légal, établi par les TCDS de l’EASA alors qu’aucune circonstance imprévue telle que définie par l’EASA ne le justifie. Ces compositions d’équipage PNC réduites font toujours l’objet d’un DGI, déposé par le CHSCT-Pilotes le 27 septembre 2016. »

 

En 2023, 2 syndicats, 1 syndicat PNC (la CGT) et 1 syndicat pilote (ALTER) prennent l’initiative d’assigner Air France pour que les choses changent : s’il n’est pas possible de faire entendre raison par le bon sens, alors faisons entendre raison par le droit.

Grâce à cette assignation, et après des mois d’échanges entre avocats, les 2 syndicats ont pu enfin obtenir les documents intégraux d’Air France concernant les modifications des cabines et mettre à mal l’édifice bancal d’Air France.

Grâce à ces documents permettant d’avoir une position officielle de l’AESA concernant l’A330, le 28 novembre 2024, Air France a enfin reconnu l’évidence concernant ce type avion en mettant à jour son MSS. 3 mois plus tard, sans doute à la suite de la mise à jour de nos assignations démontrant que ce qui est vrai pour l’A330 l’est tout autant pour le B777, Air France vient ENFIN de mettre à jour, en ce 20 février 2025, le MSS pour le 777-200 et le 777-300.

8 années se seront donc écoulées entre le 1er DGI et le revirement complet d’Air France. 8 années pendant lesquelles la compagnie aérienne, se prévalant de placer la sécurité au premier plan de ses priorités, a nié mordicus la nécessité de se conformer aux règles, règles visant à améliorer le niveau de sécurité des vols.

8 années où ALTER fût le seul syndicat pilote à soutenir les travaux de la CSSCT pilote sur les compositions d’équipage.

 

Victoire triple

 

ALTER vient de remporter une victoire technique au profit de la Sécurité des Vols. Les textes définissent les règles, il faut les respecter, en particulier ceux qui fabriquent de la Sécurité. Cela a nécessité expertise et engagement. Les pilotes peuvent désormais compter sur un nombre de PNC qualifiés augmenté, ce qui garantit plus de paires d’yeux, plus de bras pour mener une éventuelle évacuation.

Cette victoire technique a malheureusement également le mérite d’éclairer d’une lumière crue la place de la DSAC dans le processus de conformité réglementaire : non, ce n’est pas parce qu’un texte est déposé à la DSAC qu’il est approuvé par cette dernière. Et il y a bien longtemps que la DSAC a renoncé à appuyer là où ça fait mal, préférant s’intéresser, pour les programmes de maintien de compétences, au nombre de pannes moteurs au décollage, au nombre d’approche RNP 2D en ECP ou skill test, au nombre d’heures d’e-learning dévolues à la sûreté, plutôt que de relever une non-conformité de cette importance qu’est le nombre de PNC réglementaire.

 

C’est également une victoire sociale importante pour toute la corporation des navigants : le nombre minimum de PNC réglementaire à bord bénéficie à l’emploi, qualifié, car dévolu à des PNC compétents sur l’avion.

Cette victoire donnera la possibilité aux syndicats PNC d’avoir plus de poids lorsqu’ils déposeront un mot d’ordre de grève. La qualité du contrat des PNC va de pair avec notre Sécurité des Vols, mais aussi avec la sérénité nécessaire au travail en équipage. De surcroit, l’histoire montre que chaque avancée sociale pour une catégorie de personnel donne toujours de l’allant à la catégorie voisine pour revendiquer ses propres avancées sociales.

 

Enfin, c’est une victoire syndicale majeure dans un contexte de dialogue social paralysé par l’inaction du SNPL. Par son action juridique, ALTER rappelle que la parole de la direction est contestable, qu’elle doit l’être, d’autant plus lorsque la Sécurité des Vols est en jeu.

 

Dans cette même logique, ALTER invite à nouveau tous les pilotes ayant exercé ou exerçant chez Transavia à faire dire le droit sur les conditions de détachement chez Transavia. Nous sommes le seul syndicat à porter ce combat, mais la raison n’est pas l’apanage de la majorité.

 

Victoire d’étape seulement

 

La partie « ORO.CC.100 » qui impose de respecter le nombre de PNC défini par la certification des appareils, tel que publié dans les TCDS de l’AESA, est maintenant dernière nous. Cependant, il reste ENCORE une partie tout aussi importante : l’ORO.CC.205 qui définit les circonstances exceptionnelles (« unforeseen circumstances » ou « unavailability ») et leur périmètre d’application pour lesquelles un avion peut partir avec un nombre de PNC inférieur à ce fameux nombre réglementaire.

« Unavailability does not refer to insufficient number or absence of cabin crew members on standby, or absence from work due to pregnancy, maternity/paternity leave, parental leave, medical leave, sick leave, or any other absence from work. »

 

Pour cette partie, l’assignation d’ALTER et de la CGT contre Air France court toujours. Transavia a également été assignée devant les tribunaux.

Il n’est pas acceptable que nous laissions partir des avions d’une base d’exploitation, c’est-à-dire Orly, Roissy, les bases provinces, avec un nombre de PNC inférieur au nombre de PNC réglementaire.

 

 

Les leçons du passé ne doivent jamais être oubliées. Elles sont le socle de construction de notre Sécurité des Vols. Quand la direction manque à ses devoirs et tente de contourner les règlements, temporise sur ses obligations de mise à niveau de ses procédures ou des équipements embarqués (par exemple des sondes pitots avérées défaillantes), un syndicat se doit de reprendre l’initiative, par tous les moyens, pour que des drames tels que celui de l’AF 447 ne se reproduisent pas.

 

 
 
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